Verdi : Requiem

 Erika Grimaldi, Daniella Barcellona, Fancesco Meli,

 Michelle Pertusi           

 London Symphony Orchestra, Gianandrea Noseda                   2016

 

La discographie du Requiem de Verdi est extrêmement riche d'enregistrements extraordinaires, depuis Toscanini, voire Sabajno jusqu'à Pappano, Barenboim et Maazel, en passant par Serafin, Reiner, Giulini, Abbado, Karajan etc ... On peut donc légitimement se demander à chaque fois quelle peut être l'utilité d'une nouvelle parution. Mais avec Noseda, cette question n'est guère pertinente. Le chef tialien, d'une énergie et d'une inventivité rares, est l'un des chefs en activité les plus passionnants, que ce soit dans le répertoire symphonique ou dans l'opéra. Il a donné ce Reqiuiem en concert à différentes reprises ces dernières années, au festival de Verbier, à Turin avec l'orcheste du Regio, avec l'Orchestre de Paris à la Philharmonie etc ... Ce sont les concerts donnés avec le London Symphony Orchestra au Barbican Center de Londres en septembre 206 qui font l'objet de la présente publication. En concert, on pouvait être saisi par l'intensité de sa direction, on l'est de nouveau à l'écoute de ce disque. On retrouve d'abord avec plaisir une version où les quatre solistes sont italiens, ont chanté l'oeuvre à différentes reprises, notamment avec Noseda par ailleurs. Si chacun, individuellement, ne se hisse pas tout à fait au même sommet que le chef, l'ensemble est parfaitement intégré dans la vision du chef et évite de proposer un numéro de solistes. Encore que Barcellona, figurant déjà dans l'enregistrement d'Abbado à Berllin, et Meli, le ténor verdien du moment, sont vraiment excellents.

Mais, outre la qualité exceptionnelle de l'orchestre même, l'un des tout meilleurs au monde, c'est la vision du chef qui fascine et pourrait faire paraître pour fade certaines interprétations célèbres. Il crée un climat d'ensemble terrifiant et déchaîné dans lequel on plonge dès les premières phrases des cordes du Requiem aeternam, et donc pas seulement dans le Dies Irae. Le chef prend des tempos assez vifs dans l'ensemble, mais l'une grandes qualités du chef est, comme toujours, de savoir faire chanter l'orchestre et plutôt que chercher l'effet tout en jouant sur des attaques et des articulations très marquées dans les cordes et conférer aux trombonnes une noirceur qui créent ce climat d'ensemble. L'Agnus dei est ainsi traversé par une imploration d'une grande émotion, avec une grande souplesse dans le phrasé à l'orchestre.

Le Libera me est un grand moment d'orchestre et de terreur, dans un tempo très vif, qui boucle une interprétation captivante.

 

 

____________________________________________________________________________________________

 

Bach : Variations Goldberg

 Beatrice Rana, piano                                                      2016

 Warner   1 CD

 

Cette jeune pianiste italienne avait déjà fait une grande impression dans son enregistrement des concertos de Prokofiev et Tchaikovsky avec Pappano. Nous retrouvons ses qualités dans cette œuvre exigeante et à la discographie déjà très riche.

Elle a effectué une tournée internationale de concerts avec cette œuvre en 2016 et  2017. Elle a réalisé cet enregistrement début novembre 2016, quelques jours après l'avoir donné à Paris, lors d'un superbe concert.

A 24 ans, la pianiste effectue déjà la prouesse de trouver un ton d'ensemble qui assure l'homogénéité de cette série de variations, sans jamais que la monotonie ne s'installe. Mais plus encore, elle crée un climat prenant, grâce à un toucher aérien et une fluidité permanente qui avait déjà marqué dans ses autres interprétations. Elle sait ainsi diffuser un sentiment permanent de liberté dans la ligne musicale. Et pourtant elle ne s'écarte pas d'une vraie rigueur rythmique au sein de chaque variation et sait éviter le recours à des effets faciles et démonstratifs. Cela est bien la marque des plus grands artistes.

L'introduction est prise avec un tempo retenu mais pas du tout pesant, qui nous installe d'emblée dans un voyage fascinant qui va se poursuivre jusqu'à la résolution finale, que la pianiste interroge d'ailleurs avec pertinence dans la notice d'accompagnement qu'elle a rédigé.

Une interprétation qui marque l'auditeur et la discographie de l'œuvre. Avec ce disque, elle confirme qu'elle est une très grande pianiste et plus encore une très grande musicienne.

 

________________________________________________________________________________________

 

Brahms : Lieder

 Matthias Goerne, baryton

 C.Eschenbach, piano                                           2013 & 2015

 Harmonia Mundi     1 CD

 

Après une importante série de Lieder de Schubert, M.Goerne propose chez le même éditeur une sélection parmi les quelque 200 Lieder composés par Brahms dont ce n'est pas l'aspect le plus connu ni enregistré de son œuvre. Cette sélection présente Les Quatre chants sérieux, les Lieder op.32 et des Lieder d'après le poète Heinrich Heine, comme trois cycles distincts. L'ensemble des Lieder sélectionnés sont caractérisés par des tonalités en mineur et un univers poétique tourné vers l'existentialisme et la profondeur de l'introspection de soi. Ils ont néanmoins été composés à différentes périodes, en 1864 pour l'op.32, en 1878 puis 1884 pour les op.85 & 96, en 1896 pour les Quatre chants sérieux.

On retrouve une nouvelle fois les immenses qualités de chanteur et de conteur du baryton. Il prête une attention extrême aux mots et module son chant et ses intonations d'une phrase musicale à l'autre, voire au sein de la phrase, selon la caractérisation qu'il entend transmettre selon le texte. Malgré des Lieder assez homogènes dans leur écriture musicale, il n'y a aucune monotonie ni ennui qui s'installe. Goerne demeure vocalement somptueux, avec une voix souple, parfaitement maîtrisée et conduite, au timbre chaud.

Il ne se complait pas non plus dans une grisaille austère ou morbide. Au contraire, cette introspection triste ou mélancolique trouve aussi des couleurs qui apportent une vision d'apaisement et de sérénité, un peu comme il l'a fait dans ses interprétations de Schubert.

Un magnifique enregistrement de Lieder de Brahms à découvrir ou redécouvrir. L'accompagnement d'Eschenbach est sensible et le pianiste semble plus inspiré que dans certains Schubert.

 

__________________________________________________________________________________________________

Bamberger Symphoniker       70 premières années

 Orchestre symphonique de Bamberg

 J.Keilberth, E.Jochum, C.Krauss, H.Stein, J.Nott  ...      1940 - 2014

 Deutsche Grammophon        17 CD

 

L'éditeur a publié ici une superbe rétrospective sur l'orchestre de Bamberg, encore relativement méconnu en France.

Fondé après la guerre, l'orchestre donne son premier concert le 20 mars 1946, date anniversaire que vient donc fêter ce coffret. L'orchestre a été constitué en partie de musiciens allemands de Prague, en fait largement refondé à partir de l'orchestre philharmonique allemand de Prague, qui avait œuvré entre 1939 et 1945 sous la direction de Josef Keilberth. Le dernier CD de ce coffret présente d'ailleurs l'orchestre et ton chef au début des années 40 dans une symphonie "Prague" de Mozart un peu massive et la première symphonie de Schumann. Depuis 1946, l'orchestre a donné quelque 7 000 concerts dans sa ville de résidence mais également lors de nombreuses tournées, entamées dès 1949 avec la France. Malgré ces concerts donnés dans plus de 60 pays différents, l'orchestre a longtemps gardé une réputation régionale, n'intéressant que les passionnés d'orchestre, sensibles aux couleurs particulières de l'orchestre, mélange de tradition allemande et d'influence tchèque. Le fait est que les bois sonnent dans les premières décennies davantage comme ceux des orchestres tchèques. Par ailleurs Bamberg se situe non loin de la frontière avec la république tchèque, dans une région dont on sent, dans les paysages comme l'architecture, la proximité avec la Bohème. Au fil des années l'orchestre a largement gagné en homogénéité, comme on peut s'en rendre compte au fil des enregistrements proposés dans ce coffret et un peu perdu en sonorités spécifiques, comme nombre d'orchestres par ailleurs.

Excepté depuis que Jonathan Nott a pris la tête de l'orchestre en 2 000, peu d'enregistrements figuraient de façon régulière dans les catalogues des marques de disque. Le coffret permet donc de retrouver des disques souvent supprimés des catalogues et plusieurs inédits de grande qualité. Les principaux directeurs de l'orchestre sont bien représentés ici, en particulier Josef Keilberth, Eugen Jochum, Horst Stein et Jonathan Nott.

Sans détailler chacun des enregistrements des 17 CD, le coffret réserve quelques moments exceptionnels comme les extraits de Ma Patrie de Smetana par Keilberth (CD1), les extraits des danses slaves de Dvorak par Dorati (CD 8), les métamorphoses de Strauss par Sinopoli (CD 10) ou encore la 9e symphonie de Bruckner par Günter Wand (CD 13). Mais la 4e symphonie de Mahler par Kertesz est également passionnante, malgré des cordes pas totalement homogènes dans le son, la suite du Chevalier à la rose par Clemens Krauss ou la valse Une vie d'artiste de Johann Strauss par Keilberth inattendu, sont également assez exceptionnels, parmi de nombreux autres. Horst Stein, chef resté surtout connu pour ses Wagner à Bayreuth, ville d'ailleurs géographiquement proche de Bamberg, propose des enregistrements qui ne sont pas toujours une recréation géniale mais néanmoins toujours de grande qualité, parfois supérieure à la direction de chefs plus réputés. Seule son ouverture de Rienzi est étonnamment assez lourde et décevante.

Enfin les enregistrements de Jonathan Nott montre le niveau excellent atteint aujourd'hui par l'orchestre qui en fait vraiment l'une des grands phalanges allemandes, avec à  sa tête un chef engagé et enthousiasmant.

Un magnifique coffret qui permet de redonner sa vraie place à cet orchestre de niveau international. 

 

________________________________________________________________________________________________________

 

Prokofiev/Tchaikovsky : concertos pour piano

 Beatrice Rana, piano

 A.Pappano, Orchestre de l'Académie Sainte Cécile            2015

 Warner 1 CD

 

Ce disque comprend le 2e concerto pour piano de Prokofiev et le célèbre 1er concerto de Tchaikovsky. La jeune pianiste italienne s'attaque à deux pièces majeures du répertoire russe et s'avère totalement à la hauteur, malgré la discographie très riche, en particulier pour le concerto de Tchaikovsky. Son interprétation est marquée par une très grande fluidité et une large palette de couleurs. Elle évite les effets faciles et démonstratifs pour une approche plus profonde. Elle dispose d'une technique infaillible mais n'en fait pas une démonstration permanente, elle la met au service d'une vision lumineuse, riche en atmosphères et en poésie. Une alternative extrêmement réussie aux interprétations des pianistes russes et chinois du moment, souvent plus extraverties. La réussite de ce disque tient également au dialogue parfaitement réussi avec l'orchestre, grâce au chef et à un superbe orchestre italien. Enfin la prise de son, bénéficiant de l'excellente acoustique de l'auditorium du Parco della musica de Rome, ne surexpose pas le piano mais assure un équilibre parfait, répondant bien à la vision des musiciens et à la réalité des rapports entre le soliste et l'orchestre en concert.

Une belle réussite d'une pianiste d'une grande maturité musicale, à suivre dans ses prochains concerts et enregistrements.

 

_________________________________________________________________________________________

 

 

W.A Mozart : Die Entführung aus dem Serail

 Robin Johannsen, Mari Eriksmoen, Maximilian Schmitt, Julian Pregardien,

 Dimitry Ivanshenko

 R.Jocobs - Rias Kammerchor, Akademie  für Alte Musik Berlin        2015

                            Harmonia mundi  2CD

 

La version enregistrée par René jacobs a d'abord le grand mérite de renouveler l'écoute de cet opéra, de façon très convaincante, et donc le plaisir qu'on peut y prendre. Outre le choix des instruments anciens et d'un effectif réduit pour l'orchestre et les chœurs, il y a plusieurs choix esthétiques qui ont été pris pour assurer une vision très théâtrale, dynamique, vivante de l'œuvre. Par exemple le chef ajoute un accompagnement au pianoforte dans des récitatifs habituellement parlés, parfois au début ou le long de certains airs. René jacobs retient, d'une façon subjective parfaitement assumée dans la notice du coffret, le constat que Mozart dirigeait effectivement cet opéra depuis le clavier, bien qu'aucune partie de pianoforte ne soit écrite. Il ajoute également des bruitages, du texte parlé pendant la musique, insère une marche turque de Michael Haydn jouée lors d'une reprise de l'opéra en 1795, etc ... On pourrait trouver cela superfétatoire mais en fait, dans la continuité de l'opéra, tout cela contribue avec efficacité à la vision globale que souhaite proposer le chef. Le résultat est convaincant voire enthousiasmant et vraiment nouveau. Il ne s'agit donc pas d'une énième version semblable, en moins réussie, des enregistrements passés.

La direction très enlevée, énergique, théâtrale de René Jacobs, ne cherche pas à prendre le contrepied systmétique de la partition ou d'une quelconque tradition romantique. Les tempi sont vifs et répondent à la lettre aux indications de la partition, sans précipitation. L'orchestre et les chœurs sont superbes, malgré leur modeste le nombre de musiciens restreint. La prise de son permet aussi de donner une étoffe voire une ampleur que l'on ne retrouverait pas forcément dans n'importe quelle salle d'opéra.

La lecture de Jacobs représente un apport vraiment important à la discographie de cet ouvrage. La distribution est globalement satisfaisante, en particulier Mari Eriksmoen dans Blondchen et Dimitry Ivanshenko dans Osmin. Outre leurs belles voix qui sont également bien dimensionnées pour leur rôle, et dans l'esthétique du chef, ils incarnent des personnages comiques sans excès ni lourdeur, ce qui est difficile à l'opéra. On pourra trouver les voix de Robin Johannsen et Maximilian Schmitt, respectivement dans Konstanze et Belmonte, un peu légères et en retrait sur le plan dramatique même s'ils chantent bien leurs parties.

 

Une nouvelle version qui ne laisse absolument pas indifférent car elle réussit à communiquer un vrai enthousiasme.

 

____________________________________________________________________________________________

 

 

R.Wagner : Das Rheingold

      Matthias Goerne, Michelle Deyoung, Kim Begley, Peter Sidhom,

       Deborah Humble, Kwangchul Youn, Stephen Milling

       J. van Zweden - Orchestre philharmonique de Hong Kong      live janvier 2015

                       Naxos 2 CD

 

Ce dernier enregistrement live propose une distribution de bon niveau dans l'ensemble, avec des chanteurs ayant souvent interprété les rôles qu'ils tiennent ici.

Le Wotan de Matthias Goerne est un peu atypique par rapport à ce qu'on peut être habitué à entendre, avec une vraie voix de baryton, avec un chant d'abord orienté vers une ligne de chant extrêmement soignée, comme dans les lieder qu'il interprète plus régulièrement. Cela permet de présenter un Wotan un peu renouvelé. Peut-être est ce à force d'entendre ce chanteur dans les lieder de Schubert ou Mahler, mais son Wotan fait plus penser à un personnage perdu hors du monde, en pleine contemplation de ce qui se passe autour de lui, qu'à un Dieu. C'est une conception différente de ce à quoi on s'attend, mais elle peut se défendre et elle est malgré tout intéressante car M.Goerne fait cela avec un grand art de la diction et une grande maîtrise de la ligne de chant et du legato. Ce n'est sans doute quand même pas pour une première approche de l'opéra car cela manque un peu de poigne ou de cynisme.

Le reste de la distribution est intéressant avec en particulier le très beau Fasolt de Kwangchul Youn, grand interprète de Wagner. En revanche Michelle DeYoung a un chant qui manque de noblesse et cela ne convient pas forcément bien à côté de M.Goerne.

Par ailleurs la direction de Jaap van Zweden est un peu déroutante et n'assure finalement pas tellement de tension dramatique. il y a des attaques de certains pupitres qui laissent penser que l'orchestre va créer un climat de tension puis cela retombe immédiatement. Les tempi sont lents mais avec peu d'articulation ni du souffle nécessaire pour que la lenteur devienne une conception grandiose.

 

Plutôt un enregistrement destiné à ceux qui connaissent déjà plusieurs versions qu'à ceux qui voudraient découvrir cet opéra.

 

___________________________________________________________________________________________

 

G.Verdi : Aida

 Anja Harteros, Jonas Kaufmann, Ekaterina Sementchuk, Ludovic Tézier,

 Erwin Schrott

 A.Pappano - Chœur et orchestre de l'Académie Sainte Cécile      2015

                            Warner Classics 3 CD

 

Une nouvelle version d'Aida enregistrée en studio est aujourd'hui quasiment un événement. La distribution aligne des valeurs sûres et reconnues de l'opéra actuellement. Et la critique vient d'accueillir avec énormément d'enthousiasme, de façon quasi unanime, cet enregistrement. De fait, les atouts son nombreux et le résultat plutôt réussi.

La direction de Pappano est sans doute l'un des points forts de cette version. Anja Harteros alterne des moments vocalement sublimes et des sons un peu sourds. Mais surtout son incarnation manque vraiment souvent de naturel. Kaufmann chante très bien et convainc largement, même si la prononciation tend à accentuer les consonnes  d'une façon moyennement latine. D'autre part ce n'est finalement pas la puissance héroïque qui ressort de son personnage mais davantage les fragilités. Ludovic Tézier est un très grand Amonasro avec un chant d'une grande élégance et confère une réelle noblesse à son personnage. Enfin la mezzo Sementchuk dispose d'un beau timbre et propose quelques très belles phrases vocales mais d'autres moments sont marqués par des excès et des sons un peu criards, rappelant certains défauts de Fedora Barbieri, et retirant de la noblesse à son personnage.

 

Globalement une belle version moderne, bénéficiant d'une superbe prise de son, avec une très grande direction d'orchestre et une bonne distribution, même si elle ne fait pas oublier les grandes voix du passé dans cet opéra.