Ruggero Leoncavallo (1858-1919)

Pagliacci

 

De nombreux enregistrements de cette œuvre ont été réalisés permettant à tous les grands ténors de s'illustrer dans le rôle de Canio. Parmi les grands témoignages dans le rôle intégral, on compte en particulier B.Gigli, F.Merli, M.del Monaco, G.di Stefano - tous deux en studio ou en live, C.Bergonzi, L.Pavarotti, P.Domingo et enfin J.Cura en attendant un éventuel enregistrement audio de J.Kaufmann ou G.Kunde.

 

Mais trois ténors me semblent surpasser encore ces grandes interprétations dans des enregistrements relativement anciens, comprenant des distributions parfois inégales, mais comptant également d'immenses barytons dans le rôle de Tonio.

 

 

 

Giovanni Martinelli, Queena Mario, Lawrence Tibett

V.Belleza - Metropolitan Opera New York                 1934

 

Il s'agit d'un live du Met de New York des années 30, le son est donc assez précaire mais les voix sont bien rendues. L'interlude du 2e acte est coupé. Mais la soirée est véritablement extraordinaire. D'abord le prologue chanté par Tibett est un grand moment, son timbre, sa présence, son récit, sa voix, tout est admirable. Mais plus encore c'est Giovanni Martinelli qui chante son rôle de façon inimaginable. La luminosité de son timbre, la souplesse de la ligne vocale sont fascinants. Dans le grand air du premier acte, il fait preuve d'un chant qui emporte tout, avec un souffle infini totalement sidérant. Allié à un timbre lumineux, l'air pris à ce tempo si lent exprime finalement un désespoir plus intériorisé et émouvant que les inévitables sanglots de la fin. Du très grand art. La direction assure efficacement l'avancée dramatique de l'ouvrage.

 

 

Jussi Björling, Victoria de Los Angeles, Leonard Warren

R.Cellini - RCA Victor orchestra                                              1953

 

Une distribution exceptionnelle pour cet enregistrement historique : Leonard Warren, Victoria de los Angeles et Jussi Björling confèrent une certaine noblesse à leurs personnages et évitent les effets faciles. Leurs voix sont splendides et les lignes de chant tellement soignées. Au-delà la perfection vocale, ils ne sont du coup pas vraiment des êtres de chair et de sang mais plutôt comme des figures d'un conte sombre. Enfin Björling, au timbre cuivré  mais assez clair, est vraiment saisissant dans le grand air avec une ligne de chant pure et un souffle immense.

 

 

Franco Corelli, Mafalda Micheluzzi, Tito Gobbi

A.Simonetto - Orchestre de la Rai de Milan                         1954

 

Franco Corelli interprète avec une puissance vocale extraordinaire son rôle : puissance vocale par l'égalité des registres sur toute la tessiture, le souffle, la splendeur de la voix et par l'engagement. Il n'y a pas ici de retenue ou d'économie de moyen et en même temps le chant, donc le personnage, contient une réelle noblesse de caractère. Tito Gobbi offre en face, dans le rôle de Tonio, une noirceur terrible, comme pour ses autres grands rôles, mais soigne la ligne vocale et dans le prologue il est superbe. Mario Carlin est un Beppe élégant et pas trop léger. Les interprètes de Nedda et Silvio sont satisfaisants sans être aussi marquants. La direction de Simonetto soutient efficacement les chanteurs. Une autre version studio avec Corelli et Gobbi existe également, dirigée par Matacic.