Giacomo Puccini (1858 - 1924)

 

 Manon Lescaut

Quelques années après la création (en 1884) du Manon de Massenet, Puccini décidait d'écrire également un opéra tiré du roman de l'Abbé Prevost. Manon Lescaut, bénéficiant de toute l'originalité et du génie du compositeur est devenu son premier grand ouvrage lyrique.

Malgré un succès constant, la discographie reste un peu en retrait et compte moins de grandes réussites live ou studio que La Bohème ou Tosca. On compte un premier enregistrement avec l'exceptionnel Francesco Merli dans Des Grieux, mais une Maria Zamboni dans Manon qui se laisse plus difficilement appréhender. Les grandes sopranos pucciniennes ont laissé leur témoignage, Callas uniquement en studio, Tebaldi, Caballé et plus récemment Netrebko. On pourra aussi écouter le beau témoignage laissé par José Cura et Maria Guleghina sous la direction de Muti à la Scala en 1998. Il faut par ailleurs voir Renata Scotto dans le live au Met, exceptionnelle. Mais avant tout c'est Magda Olivero qui marque tout particulièrement de son empreinte ce rôle à travers plusieurs live.

 

 Mirella Freni, Placido Domingo, Renato Bruson

 G.Sinopoli - Royal Opera House, Covent Garden            1984

 

Cet enregistrement demeure sans doute le plus réussi de la discographie. Il ne comporte aucun point faible ni déséquilibre, ce qui n'est quasiment le cas d'aucune autre version. 

Il dispose d'abord de la direction fouillée de Sinopoli, intense, quasiment oppressante, qui met en avance la richesse de l'orchestration du compositeur, sans céder à aucune facilité, avec une très belle prise de son. La tension dramatique et tragique est exceptionnellement rendue pour un enregistrement studio. La distribution est excellente. Mirella Freni, qui a enregistré par deux fois l'opéra (l'autre version aux côtés de Pavarotti) traduit avec intensité les différentes facettes de son personnage avec toute sa fragilité. Domingo reste le plus évident des Des Grieux, offrant une nouvelle fois dans Puccini une adéquation idéale entre le format vocal, le timbre, l'engagement vocal avec son personnage et l'écriture du rôle. Ces deux artistes suscitent ainsi une forte émotion croissante tout au long des actes. A leur côté, Bruson est toujours d''une belle élégance et les seconds rôles bénéficient d'interprètes exceptionnels dont Brigitte Fassbänder en musicien et jusque John Tomlinson dans le court rôle du commandant. 

Une référence pour découvrir l'ouvrage.

 

 Magda Olivero, Richard Tucker, Vincente Sardinero

 M.Veltri - Chœur et orchestre de l'opéra de Caracas         1972

 

Trois enregistrements live de Magda Olivero ont été publiés, le premier en 1964, avec une bonne qualité sonore, un deuxième à Vérone avec Domingo en 1970, et ce troisième témoignage issu d'une représentation donnée à Caracas. C'est ici qu'elle est la plus poignante et qu'elle propose, à 62 ans, une incarnation légendaire. Pour écouter sa plus belle interprétation de l'air In quelle trine morbide, on ira vers son récital à Amsterdam en 1962. Le reste de la distribution, moins exceptionnel, n'empêche pas de faire de ce témoignage un moment unique et indispensable.

 

 La Bohème

La discographie compte près de 300 enregistrements en intégrale ou extraits répertoriés, live et studios, depuis le premier témoignage de 1917. Elle regorge donc de trésors et versions de qualité ou moins utiles, dont une petite partie néanmoins reste accessible. Outre les versions suggérées ici, on ne peut manquer Maria Callas très émouvante en 1956, une nouvelle fois totalement investie par son rôle, bien qu'elle ne l'ait pas abordé à la scène. Avec elle, Giuseppe Di Stefano, au charisme intense, y est cependant vocalement déjà plus tendu. Il y a également Mirella Freni dont ce fut l'un des grands rôles, dans l'enregistrement célèbre aux côtés de Pavarotti et Karajan, ou dans une ancienne et célèbre version filmée par Franco Zeffirelli en 1965, avec cette fois Gianni Raimondi en Rodolfo. Le duo formé par Netrebko  et Villazon offre également en 2007 pour Deutsche Grammophon des interprétations très engagées. On pourra préférer à ces différents enregistrements, trois versions studio majeures, très équilibrées et totalement abouties.

 

 Renata Tebaldi, Carlo Bergonzi, Ettore Bastianini, Cesare Siepi

 T.Serafin - Académie Sainte Cécile de Rome               1959

 

Ici nous avons du grand opéra avec trois voix d'une splendeur inégalée, sous une direction très lyrique et idiomatique. Voilà ce qui fait de cette version un classique et sur une référence. En 1959, Tebaldi, Bergonzi et Bastianini sont tous les trois à leur meilleur et donnent à chacun instant une leçon de style et de chant, transmettant par un art porté aux plus aux hauts sommets une émotion intense. Et finalement, ces voix si riches de couleurs et de rondeur offrent ainsi à leurs personnages modestes toute la grandeur d'âme et toute la beauté que l'histoire leur prête au fond. Le duo de la fin du 3e acte entre Mimi et Rodolfo transportent ici l'auditeur totalement en apesanteur. L'immense Cesare Siepi en Colline, Fernando Corena ou l'incontournable Piero de Palma complètent avec bonheur cette distribution de rêve.

 

 Victoria de los Angeles, Jussi Björling, Robert Merrill, Giorgio Tozzi

 Sir Th. Beecham - RCA Orchestra                                1956

 

Si on ne l'associe pas spontanément Thomas Beecham et Puccini, le chef britannique a pourtant dirigé de très nombreuses fois La Bohème. Avec cet enregistrement effectué à New-York au printemps 1956, il offre une lecture vivante, pleine de charme, fluide, d'une grande poésie, avec des couleurs orchestrales chaudes imprimant une tonalité de douce tristesse. La distribution est également magnifique. Victoria de Los Angeles est particulièrement en adéquation avec le rôle de Mimi, avec une voix juvénile pleine de fragilité, au chant soigné et intense. Jussi Björling interprète son personnage de Rodolfo avec un chant exceptionnellement beau, avec un timbre clair et rond particulièrement idoines. Et surtout ces deux voix se combinent idéalement, par leur timbre et l'élégance commune du chant. A leurs côtés les seconds rôles sont tenus avec efficacité, Robert Merrill,  au très beau timbre, incarne un Marcello classique et séduisant, Lucine Amara incarne avec une retenue bienvenue Musetta. 

Une version indispensable, d'une poésie et et d'un charme irrésistibles.

 

     Angela Gheorghiu, Roberto Alagna, Simon Keenlyside, Ildebrando 

      D'Arcangelo

      R.Chailly - Teatro alla Scala di Milano                            1998

 

Comme souvent ce chef a l'ambition de revenir au texte et scrupuleusement aux indications de la partition. Cela amène ici à des tempos souvent assez allants mais pas précipités et le chef laisse bien respirer les chanteurs. Finalement la direction est avant tout vivante et fait surtout bien ressortir la richesse de la partition. Elle soutient bien une très belle distribution où le couple Gheorghiu et Alagna est très convaincant. 

Simon Keenlyside donne de la substance au personnage de Marcello, outre sa belle voix. On appréciera également le vétéran Alfredo Mariotti et sa caractérisation des personnages Benoît et Alcindoro.

Une très belle version moderne.

 

 Tosca

Difficile de choisir entre toutes les versions passionnantes de cet opéra et parmi tous les grands interprètes des trois principaux rôles. Dans le rôle-titre de Tosca, parmi les chanteuses les plus marquantes, il faut écouter Maria Callas, Magda Olivero, Renata Tebaldi, Leontyne Price, Renata Scotto et Raina Kabaivanska qui ont chacune su combiner un engagement dramatique exceptionnel à un chant extraordinairement maitrisé et soigné. Elles l'ont enregistré en studio (sauf Magda Olivero) et des live permettent aussi d'imaginer leur présence exceptionnelle sur scène. Pour Renata Tebaldi le live avec G.Di Stefano et E.Bastianini en 1956 est peut-être le témoignage à privilégier en premier parmi tous ceux qui ont été diffusés. Pour Renata Scotto l'enregistrement en studio avec P.Domingo et dirigé par J.Levine est superbe. Enfin pour Raina Kabaivanska, le film tourné à Rome avec P.Domingo permet d'apprécier son chant exceptionnel et son engagement comme actrice.

Les récentes grandes interprètes sont au moins Angela Gheorghiu et Sondra Radvanovsky. Enfin on pourrait espérer un témoignage sous la direction de Gianandrea Noseda qui en donne une lecture absolument électrisante.

Ce sont cinq enregistrements qui sont proposés, tous exceptionnels, qui se complètent pour leurs différentes qualités.  

 

 Maria Callas, Giuseppe Di Stefano, Tito Gobbi

 V. De Sabata - Orchestra del Teatro alla Scala di Milano    1953

 

Il s'agit d'une référence historique incontournable, par un trio exceptionnel et à son sommet vocal dans les principaux rôles, par la direction intense et subtile de V.de Sabata. Cette version permet d'abord d'entendre Maria Callas encore au sommet de sa santé vocale. Sa Tosca est d'une intensité dramatique exceptionnelle grâce à la grande palette de ses couleurs vocales, grâce au poids donné aux mots et grâce à son timbre unique.

Giuseppe Di Stefano est encore meilleur dans le live de 1952 à Mexico, mais il est encore dans ce studio un Cavaradossi plein de charme, avec son charisme particulier, un timbre sublime et de belles phrases nuancées. Cette version est également restée célèbre grâce à l'incarnation de Tito Gobbi dans Scarpia. Le baryton incarne la noirceur et la perversité violente d'une façon extraordinaire, sans doute du fait d'un timbre particulier mais aussi par ses grandes qualité d'acteur qu'on sent même en studio.

Une version mythique à juste titre et qui bénéficie désormais d'une remasterisation exceptionnelle faite par les équipes de Warner.

 

 Zinka Milanov, Franco Corelli, Gian Giacomo Guelfi

 A.Gibson - Royal Opera House Covent Garden, Londres    1957

 

Il s'agit du live de la première de trois représentations de Tosca données à Londres au début de l'été 1957. Il permet d'entendre le ténor Franco Corelli dont ce fut l'un des grands rôles. Et surtout lui-même marque définitivement ce rôle. Il existe plusieurs enregistrements avec Franco Corelli dont un en studio. Celui dans lequel il se surpasse encore est sans doute le live réalisé à Parme en 1967, représentation à la fin de laquelle il chante, accompagné au piano la chanson napolitaine Core ingrato devant un public en délire. Mais dans cette représentation à Londres en 1957 il est déjà au sommet et aucun autre ténor ne lui est comparable. Tout est poussé à son paroxysme, sans aucune limite, avec une santé vocale unique qui laisse totalement pantois. Dans le grand air E lucevan le stelle au 3e acte, il nuance à l'infini les phrases, avec un souffle absolument inépuisable et totalement sidérant, quasiment inhumain. Outre la beauté du timbre, l'insolence des moyens vocaux, il incarne son personnage avec noblesse, une fougue intense et aussi toujours quelque chose de désespéré. On ne peut être que subjugué par cette incarnation insurpassable. Après l'avoir écouté, même les autres plus grands ténors semblent en retrait sur le plan vocal.

A ses côtés Zinka Milanov offre une très belle voix, un très beau chant, même si la caractérisation n'a pas la force de Callas ou Olivero. Guelfi, excellent baryton largement sous-estimé, est un Scarpia sonore, inquiétant, très noir. Le chef est efficace mais la prise de son ne permet pas d'apprécier totalement ni les qualités de l'orchestre ni celles de la direction.

 

Magda Olivero, Flaviano Labò, Tito Gobbi

O. De Fabritiis - Festival Arènes de Vérone                             1962

 

Parmi les différents témoignages de Magda Olivero en live, entre 1957 et 1979, cette version est la plus satisfaisante. D'abord parce que la chanteuse y est à son sommet vocalement. Ensuite parce qu'elle mieux entourée que dans les autres live.

La soprano offre une incarnation d'une force dramatique extraordinaire, réussissant parfaitement à combiner la passion, la violence de certaines réactions et la fragilité du personnage de Tosca. Mieux que chez de nombreuses autres chanteuses, cette caractérisation à la psychologie approfondie est servie par une technique vocale unique. La ligne vocale est totalement maîtrisée sur toute la tessiture, quelles que soient les nuances. Ses piano ou ses crescendo sur le souffle, d'une part ne dénaturent jamais le timbre de la voix, d'autre part renforcent la puissance des effets dramatiques attendus.

Son grand air du 2e acte Vissi d'arte est un modèle absolu de technique vocale au service d'une émotion communicative, à tel point que, face à l'enthousiasme déchaîné du public, elle bisse son air. Et le bis surpasse peut-être encore la première fois par l'intensité de l'émotion dégagée.

A ses côtés Tito Gobbi est moins subtil qu'en 1953, mais il impressionne néanmoins toujours. Le ténor Flaviano Labo, avec un beau timbre et un style élégant, offre un Cavaradossi convaincant.

La qualité précaire du son ne permet pas vraiment de juger de la qualité de la direction de Fabritiis.

Magda Olivero est, avec Maria Callas, l'autre grande Tosca du 20e siècle, qu'il faut écouter lors de cette représentation à Vérone, malgré une prise de son qui réserve l'enregistrement plutôt pour un approfondissement que pour une première écoute.

Pour apprécier la soprano avec une meilleure qualité sonore, on peut l'écouter dans l'enregistrement  réalisé en 1957 avec le ténor E.Fernandi.

 

Leontyne Price, Placido Domingo, Sherill Milnes

Z.Mehta - New Philharmonia Orchestra                                  1972

 

Ce superbe enregistrement bénéficie d'une distribution et d'une direction exceptionnelles. Le chef met en avant aussi bien les couleurs d'une orchestration riche et caractéristique de Puccini, que la tension dramatique tout le long de l'opéra. Une grande réussite dans l'œuvre. Les chanteurs sont à la hauteur de leur réputation. Leontyne Price, sans être toujours totalement idiomatique dans certains phrasés, offre une voix tellement somptueuse qu'on est en définitive totalement enthousiasmé par son incarnation. Placido Domingo est ici à son meilleur, sa voix est souple, chaude et riche de couleurs et en nuances. Leur duo Tosca/Cavaradossi du 1er acte est en particulier d'une très grande beauté. Et il s'agit sans doute de la plus belle des différentes et nombreuses incarnations de P.Domingo dans ce rôle. Enfin Sherill Milnes offre un Scarpia très bien chanté, avec la puissance nécessaire dans le Te Deum du 1er acte.

Une totale réussite portée par une direction particulièrement inspirée. La prise de son permet ici d'apprécier pleinement l'orchestre dans toutes ses couleurs et dans le rendu des différentes atmosphères propres à chaque acte.

 

Angela Gheorghiu, Roberto Alagna, Ruggero Raimondi

A.Pappano - Royal Opera House Covent Garden, Londres    2000

 

Cet enregistrement est la bande-son du film réalisé en 2000 par Benoît Jacquot. La direction de Pappano est somptueuse et d'une réelle intensité dramatique. Gheorghiu est une grande Tosca, un peu hautaine peut-être, chantant superbement. Alagna est un Cavaradossi fougueux, engagé et totalement convaincant. Et l'enregistrement bénéficie de Ruggero Raimondi, déjà Scarpia lors de la retransmission en direct aux heures et lieux à Rome de l'opéra dans les années 90. Il apporte quelque chose d'exceptionnel au rôle de Scarpia. Il incarne un personnage sophistiqué, raffiné, d'une subtile perversité, comme aucun autre baryton ne l'avait été avant lui. Son extraordinaire charisme et cette forte caractérisation se retrouvent totalement dans le seul témoignage audio, même sans les images. La beauté de son timbre, son autorité vocale et son chant élégant assurent cette incarnation exceptionnelle. Il apporte vraiment quelque chose de nouveau et de passionnant à ce rôle.

Peut-être la version à écouter en premier pour découvrir l'œuvre.

 

 Madame Butterfly

Créé le 17 février 1904 à la Scala de Milan, l'opéra est inspiré d'un article écrit par John Luther Long ayant fait l'objet d'une adaptation sous forme de pièce de théâtre à succès à Londres. L'histoire tragique était par ailleurs un sujet en vogue dans la deuxième moitié du 19e siècle. Après l'échec des premières représentations à Mila, Puccini reprend la partition et en propose une nouvelle mouture quelques mois plus tard assurant cette fois un succès définitif à l'ouvrage.

Parmi les quelque 70 enregistrements réalisés en live ou studio, et en diverses langues, le choix est large. Quelques soprano ont marqué le rôle tout au long du 20e siècle, en particulier Rosetta Pampanini (enregistrement de 1928), Magda Olivero (live 1961), Renata Scotto, Raina Kabaivanska, Mirella Freni. Renata Tebaldi a enregistré par deux fois ce rôle (en 1951 et 1958), témoignant d'une beauté vocale exceptionnelle mais d'une caractérisation du personnage moindre. Sur le plan strictement vocal, le duo avec Carlo Bergonzi en 1958 est splendide mais s'écoute davantage comme un pur récital.

D'un autre côté Maria Callas investit totalement le rôle dans l'enregistrement réalisé en 1955 sous la direction de Karajan. Elle allège considérablement la voix et éclaircit son timbre pour s'apparenter au mieux au rôle d'une jeune fille de 15 ans. On pourra trouver cette approche absolument géniale ou finalement un peu fabriquée et à la longue manquant de naturel. Il n'en demeure pas moins que dans l'air Che tua madre dovra au 2e acte, l'intensité émotionnelle de l'incarnation alliée à une très grande maîtrise vocale suffisent à en faire un moment pour l'éternité. 

Dans un enregistrement de 1982 à Sofia très bien dirigé par Gabriele Bellini, Raina Kabaivanska offre une interprétation d'une très grande intensité et son duo du 2e acte avec Alexandra Milcheva est d'une très grande beauté. 

Mirella Freni, avec un format vocal idéal, laisse deux grands témoignages au disque, outre l'enregistrement pour le film réalisé par Jean-Pierre Ponnelle, le premier avec Karajan, le second avec Sinopoli. Ses interprétations sont exceptionnelles et à chaque fois vraiment bouleversantes. 

 

 

 Renata Scotto, Carlo Bergonzi, Rolando Panerai

 J.Barbirolli - Teatro dell'Opera di Roma                              1966

 

Cette version propose sans doute la distribution la plus équilibrée et juste de toute la discographie. En premier lieu, Renata Scotto, dans ce premier des deux studios qu'elle a laissé, est en adéquation totale avec son personnage, traduisant parfaitement sa jeunesse et son innocence, sans mièvrerie, mais aussi tout l'intensité du désespoir et de la résignation. Son duo avec Suzuki au 2e acte est vocalement magique. Son air final d'adieu est ainsi d'une grande intensité dramatique avec un chant concentré et une émotion intérieure superbement rendue. Carlo Bergonzi offre comme toujours un chant d'une grande distinction, avec ce timbre si splendide. Son personnage, peut-être au-delà de l'intention du chanteur, en devient presque sympathique, inconscient de son comportement, parce que sans doute pas inhabituel au 19e siècle. Rolando Panerai en Sharpless, Anna di Stasio en Suzuki complètent avec de belles interprétations cette distribution exceptionnelle. Et puis ils sont tous soutenus par la magnifique direction de Barbirolli, aux tempos justes, dosant parfaitement l'intensité dramatique et la richesse de 'l'écriture, des couleurs, sans appuyer les effets ni forcer l'écriture.

 

     Angela Gheorghiu, Jonas Kaufmann, Fabio Capitanucci

     A.Pappano - Académie nationale de Sainte Cécile             2008

 

On pouvait attendre qu'Angela Gheorghiu incarne un personnage trop sophistiqué et froid, d'autant qu'elle n'a jamais interprété sur scène ce rôle. En fait il n'en n'est rien, au contraire. Si la soprano offre un timbre somptueux et  une grande forme vocale, elle fouille le personnage, avec un travail en détail sur les couleurs et un grand engagement dramatique. Son interprétation constitue ainsi une incontestable référence moderne. Jonas Kaufmann a un timbre un peu sombre pour le rôle mais la beauté de la voix et du chant emportent finalement l'adhésion. Les seconds rôles sont également bien tenus. Le chœur, dirigé ici par Norbert Balatsch chante, dans une osmose parfaite avec l'orchestre, le chœur à bouche fermée du 2e acte avec une rondeur et une couleur exceptionnelles. Avec un orchestre aux couleurs magnifiques et subtiles, le chef Antonio Pappano imprime une dynamique, une émotion et un sens du drame, de bout en bout passionnants.

La superbe prise de son, bénéficiant de la grande salle du Parco della Musica à Rome, contribue à faire de cet enregistrement une véritable réussite d'ensemble.

 

 

 La fille du Far West

 Magda Olivero, Daniele Barioni, Gian Giacomo Guelfi

 O.de Fabritiis - Teatro La Fenice Venezia                         1967

 

Magda Olivero a marqué à jamais ce rôle de Minnie. A ce jour, elle est la seule à avoir pu montrer toutes les facettes du personnage, forte, déterminée et fragile lorsqu'elle tombe amoureuse. Sa technique vocale exceptionnelle lui permet en effet de surmonter la tessiture, sans la moindre difficulté, et de faire preuve d'un engagement dramatique exceptionnel. Elle en propose une incarnation inégalée. A ses côtés le ténor Daniele Barioni rend justice à son rôle, avec une belle implication dramatique et la recherche de nuances, même si le chanteur ne dispose pas d'une voix d'une beauté particulière. Enfin Gian Giacomo Guelfi, habitué de ce rôle, fait preuve d'une noirceur saisissante. Le chef De Fabritiis emmène l'ensemble avec conviction et raffinement. La prise de son est assez bonne pour un live de cette époque en Italie.

 

 Gigliola Frazzoni, Franco Corelli, Tito Gobbi

 A.Votto - Teatro alla Scala di Milano                               1956

 

La soprano dramatique italienne Gigliola Frazzoni n'est pas restée très célèbre, bien qu'elle ait régulièrement incarné des rôles assez lourds à la Scala ou à Vérone notamment au cours des années 1950 et 60. Sans proposer la même intensité dramatique que Magda Olivero, elle chante cependant très bien le rôle, avec une voix large, et rend ce personnage improbable tout à fait crédible. Franco Corelli était encore dans les premières années de sa carrière fulgurante et propose un chant d'une insolence fascinante, même s'il se permettra davantage de nuances plus tard. Tito Gobbi, comme Guelfi, offre un personnage noir sinon sadique, particulièrement percutant au 2e acte, dans la scène de la partie de poker avec Minnie. L'ensemble est mené par Antonino Votto, chef régulier de la Scala, qui soutient parfaitement les chanteurs.

 

             Carol Neblett, Placido Domingo, Sherill Milnes

               Z.Mehta - Royal Opera House, Covent Garden         1977

Cet enregistrement de studio bénéficie d'abord de la superbe incarnation de Placido Domingo, le meilleur ténor de la discographie avec Corelli. Il a souvent incarné ce rôle de bandit en rédemption grâce à l'amour de Minnie. C'est ici une parfaite occasion de l'écouter dans l'un de ses plus beaux rôles. Sherill Milnes fait preuve d'une prestation vocalement irréprochable et propose un sheriff impressionnant. La soprano Carol Neblett, dans le rôle principal d'une grande difficulté, ne démérite pas, mais elle manque un peu d'engagement dramatique et ne restitue de de ce fait pas toute la force du personnage. Le chef dirige l'ensemble avec flamboyance, mais ne traduit lui aussi que partiellement l'atmosphère de cette sublime partition. La qualité de la prise de son permet néanmoins d'apprécier le raffinement de l'écriture orchestrale, mieux que dans les live mentionnés précédemment.

 

 Turandot

Quelques grandes voix ont marqué de façon indélébile le rôle titre, Eva Turner, Gina Cigna et encore davantage Birgit Nilsson. Gina Cigna a participé au premier enregistrement studio, réalisé en 1938, avec le superbe Calaf de Francesco Merli et la fragile et émouvante jeune Magda Olivero. Il reste d'Eva Turner des extraits des représentations données à Londres en 1937, avec Giovanni Martinelli, sans doute le plus électrisant Calaf de la discographie avec Franco Corelli. De Birgit Nilsson, il reste un certain nombre des témoignages live et deux studios (en 1960 avec Jussi Björling che RCA, le second avec Franco Corelli chez HMV/EMI en 1965). Elle s'est produite de très nombreuses fois sur scène avec ce rôle, au Met, à la Scala de Milan, Buenos Aires, Philadelphie, Vérone ou Vienne. Maria Callas avait chanté dans ses premières années Turandot pour n'y revenir ensuite que pour un enregistrement studio en 1957 où elle y est à nouveau passionnante. Elle y est entourée du ténor Eugenio Fernandi, au timbre voilé mais bien chantant en Calaf, et d'Elisabeth Schwarzkopf, vraiment décalée en Liu.

Plus récemment, on peut mentionner tout particulièrement  le témoignage publié en video des représentations madrilènes de 2018, réunissant Irene Theorin et Gregory Kunde, sous la direction de Nicola Luisotti.

 

 Birgit Nilsson, Franco Corelli, Galina Vishnevskaia

 G.Gavazzeni - Teatro alla Scala di Milano                    1962

 

Nilsson et Corelli ont enregistré en studio l'opéra et pour bénéficier d'une prise de son plus satisfaisante, on ira vers cette version studio, qui propose en outre la très belle Liu de Renata Scotto. Mais ce live apporte une intensité supplémentaire unique. Les deux chanteurs ont incarné ensemble à différentes reprises cet opéra et la rivalité de leur engagement vocal époustouflant répond à celle de leur personnage dans l'histoire. Birgit Nilsson est une Turandot de légende, avec sa voix glaçante et percutante, d'une puissance inouïe, mais aussi avec une ligne de chant irréprochable. Franco Corelli, à son sommet vocal, nuance à l'infini sa voix, avec un souffle inépuisable. Son air Nessun dorma est un très grand moment d'opéra. Gavazzeni dirige avec naturel l'ouvrage, restituant la puissance des grandes scènes de foule comme la richesse de l'orchestration, sans jamais tomber dans le clinquant ou le banal. 

Cette soirée légendaire d'ouverture de la saison de la Scala, le 7 décembre 1962, reste d'anthologie.

 

     Joan Sutherland, Montserrat Caballé, Luciano Pavarotti

     Zubin Mehta, London Philharmonic Orchestra          1972

 

Grand classique de la discographie, cette version reste toujours aussi convaincante au fil des ans. Mehta retient une direction dramatique éclatante bien que les tempos soient assez retenus, somptueuse, riche en atmosphères et en couleurs. Il est réuni une belle distribution soucieuse d'un chant soigné, sans doute plus adaptée au studio qu'à la scène. Sans être aussi sidérante que n'ont été Gina Cigna, Eva Turner ou Birgit Nilsson, Joan Sutherland est très convaincante dans le rôle titre. La qualité du chant est constamment respectée et le caractère distant du personnage est très bien rendu. En outre le timbre de la chanteuse paraît ici particulièrement en adéquation avec le rôle. Pavarotti, sans doute au sommet de sa santé vocale en cette période et malgré des sons parfois un peu trop ouverts dans le bas medium, déploie son chant solaire et enthousiasmant avec naturel correspondant bien également pour le rôle de Calaf. Son grand air Nessun dorma est chanté avec poésie et fougue. Caballé complète idéalement ce trio grâce à son chant aérien et doux et un timbre particulièrement magnifique à cette époque. 

Ce très beau plateau est complété de façon luxueuse par Nicolai Ghiaurov en Timur, Sir Peter Pears en Prince Altoum et même Tom Krause en Ping.

La prise de son réalisée par Decca en ce début des années 70 permet d'apprécier pleinement les sonorités de l'orchestration pucciniennes et la beauté des voix.