Giuseppe Verdi (1813  -1901)

Ernani

Composé en 1843 - 44, Ernani est l'un des chefs d'œuvre de jeunesse du compositeur, inspiré par l'œuvre de Victor Hugo, avec une partition qui allie une tension permanente à une très grande richesse mélodique. Son succès a été important dès sa création à la Fenice de Venise et dans les mois qui suivirent. Alors que les grands ténors du 20e siècle ont encore porté cet ouvrage, tels Martinelli, Corelli, Bergonzi, Domingo ou Pavarotti, sa célébrité reste pourtant aujourd'hui inférieure à d'autres ouvrages de la période. De même la discographie est relativement modeste, avec, en studio, prioritairement celui effectué par Thomas Schippers, avec Leontyne Price et Carlo Bergonzi en 1967. Mais ce sont les quelques live qui restituent le mieux les qualités dramatiques et lyriques de l'ouvrage. Outre les deux versions proposées ici, on pourra aussi écouter le live venant de la Scala en 1969 avec Domingo jeune et fougueux ainsi que Raina Kabaivanska, merveilleuse et Ghiaurov somptueux. Enfin, si la bande radio est encore accessible, on écoutera Sondra Radvanovsky et le regretté Salvatore Licitra à Chicago en 2009, avec des voix et style magnifiques.

 

Zinka Milanov, Mario del Monaco, Leonard Warren, Cesare Siepi

D.Mitropoulos - Metropolitan Opera, New-York                        1956

 

Cette version d'Ernani est transportée par la direction électrique du chef grec. La distribution est exceptionnelle, avec le ténor Mario del Monaco dans le rôle-titre engagé, plus raffiné et nuancé que souvent, sans doute grâce au travail avec le chef. Zinka Milanov ne maîtrise pas vraiment les vocalises de son air d'entrée, mais la voix reste sublime. Leonard Warren et Cesare Siepi sont particulièrement impressionnants, tous deux en très grande forme vocale.

La prise de son live manque de relief et ne restitue que partiellement la qualité de la direction musicale. Les chanteurs sont bien présents.

 

Leontyne Price, Franco Corelli, Mario Sereni, Cesare Siepi

Th. Schippers - Metropolitan Opera, New-York                         1965

 

Conduit avec fougue par le chef américain Thomas Schippers, cet autre live venant du Met est également très enthousiasmant. Franco Corelli est à son apogée et proche de l'idéal dans ce rôle romantique. La voix est splendide et l'engagement exceptionnel. A ses côtés Leontyne Price est également superbe de timbre et de noblesse, passées les vocalises approximatives du début. Mario Sereni, au timbre somptueux et d'une grande autorité, et de nouveau Cesare Siepi impressionnant, participent pleinement à la réussite de cette soirée inégalée.

 

Rigoletto

Conçu en 1850/1851, l'opéra est inspiré de la pièce de Victor Hugo Le roi se meurt, qui se heurta à la censure dans plusieurs pays d'Europe et amena Verdi et son librettiste F.M Piave à mener un travail important pour permettre à l'opéra de pouvoir être créé en Italie. La création intervient finalement en mars 1851 à Venise. L'opéra constitue le premier volet de ce qui a été appelé la "trilogie populaire" avec Le Trouvère et la Traviata et qui marque un tournant dans l'esthétique musical eu compositeur. Rigoletto est à cet égard emblématique avec peu de grands arias et surtout des successions de duos et d'ensembles. L'écriture orchestrale est d'une richesse particulière qui annonce déjà les grands ouvrages à venir.

L'œuvre qui figure parmi les plus célèbres de Verdi, notamment par son fameux air "La donna e mobile", offre aussi l'un des grands rôles lyriques pour les barytons. 

Parmi les grands barytons qui ont marqué ce rôle, on peut retenir en particulier Riccardo Stracciari (enregistrement intégral en 1930), Leonard Warren (notamment le live au Metropolitan de New-York en 1951), Tito Gobbi (live à Rome en 1947 avec Lauri-Volpi ou en studio avec M.Callas en 1955), ou encore Renato Bruson (en studio à deux reprises et un live tardif mais émouvant en 1994 avec Muti à la Scala de Milan) et Leo Nucci (plutôt à Parme en 2008, version publiée en DVD). Enfin, on écoutera avec une grande émotion Dmitri Hvorostovsky dans son dernier enregistrement d'opéra avant sa disparition prématurée. La discographie est riche d'une soixantaine de versions studios et live, avec un premier enregistrement en 1912, en français.

On y trouve en particulier trois enregistrements célèbres, réalisés en studio, et qui restituent de façon particulièrement satisfaisante la richesse et la puissance de cet ouvrage.

 

Renata Scotto, Carlo Bergonzi, Dietrich Fischer-Dieskau, Ivo Vinco

R.Kubelik - Teatro alla Scala di Milano                                        1963

 

Il s'agit de la version de référence incontournable depuis sa parution. A la tête des chœurs et orchestre de la Scala, Kubelik emmène l'ensemble avec fougue, un extraordinaire sens du théâtre et de la tension dramatique. Dans le rôle du duc, Carlo Bergonzi est une nouvelle fois un modèle inégalé de chant verdien, avec un timbre somptueux, un chant d'une élégance constante qui subjugue. Renata Scotto, encore au début de sa carrière internationale, incarne une très belle Gilda. Fischer-Dieskau, enfin, signe une incarnation fascinante, sachant construire un personnage psychologiquement fouillé et torturé, sans aucun maniérisme néanmoins. S'il apparaît moins idiomatique que certains grands barytons italiens dans le rôle comme Gobbi ou Nucci plus récemment, il offre une composition absolument extraordinaire et vocalement irréprochable.

 

         Anna Moffo, Alfredo Kraus, Robert Merrill, Ezio Flagello

         G.Solti - RCA Italian chorus & orchestra                                       1963

 

La même année que Kubelik, Georg Solti enregistrait également l'opéra en Italie mais à Rome et pour RCA. Il offre une direction brillante et enlevée. Il soutient bien une très belle distribution. Anna Moffo, avec son timbre caractéristique et légèrement voilé, à l'instar de Cotrubas, très à l'aise sur toute la tessiture, est une magnifique Gilda. Alfredo Kraus est parfait dans ce rôle, avec une ligne de chant très soignée et un style un peu maniéré. Robert Merrill apporte une interprétation classique et efficace de Rigoletto, avec un superbe timbre et une réelle autorité vocale.

Le report en CD fait par RCA n'est pas tout à fait optimal (certaines saturations notamment dans des forte), mais la version est une grande réussite d'ensemble, sans aucun point faible.

 

         Ileana Cotrubas, Placido Domingo, Piero Capuccilli, Nicolai Ghiraurov

         C.M Giulini - Wiener Staatsopernchor & Philharmoniker        1979

La direction de Giulini surprend d'abord par des tempos assez retenus dans l'ensemble. Et pourtant, contrairement à ce qui a pu être écrit par certains critiques, sa direction est pleine de vie, de couleur et permet à la ligne mélodique de se déployer de façon fascinante. La tension n'est pas du tout absente de cet enregistrement et on redécouvre la finesse et la richesse de l'écriture de Verdi que l'on perd un peu dans les directions qui privilégient l'éclat et la rapidité. Il bénéficie en outre d'un orchestre somptueux à qui le chef transmet son élégance et une italianité précieuse pour cet ouvrage.

L'équipe de chanteurs réunie est de premier plan. Le timbre voilé et l'engagement de Cotrubas confèrent une vraie épaisseur et une fragilité émouvante à son personnage qui en font l'une des plus belles Gilda de la discographie. On attend moins Domingo dans ce rôle, mais il fait preuve d'une grande noblesse. Il rend le personnage plus sympathique et chaleureux qu'habituellement avec un timbre plus sombre que les grands titulaires du rôle, et avec son engagement habituel, malgré quelques tensions dans les aigus.  Capuccilli soigne la ligne de chant dans un rôle qui prête souvent à des excès véristes et incarne un Rigoletto touchant. Les seconds rôles sont tenus de façon somptueuse (Kurt Moll, Nicolai Ghiaurov, Elena Obratzova, Hanna Schwarz ...).

 

Le trouvère

Conçu sur la même période que Rigoletto, l'opéra est créé à Rome en 1853. L'œuvre est inspirée d'une pièce espagnole d'Antonio Garcia Gutteriez. L'intrigue est assez incompréhensible, sous l'effet de la recherche d'une écriture musicale et dramatique très resserrée et peut-être aussi par des coupures anticipant des risques de censure. L'intrigue se situe à la fin du Moyen-Âge en Espagne et présente un troubadour engagé dans un combat politique. L'histoire correspond ainsi au goût de l'époque pour une période réinventée particulièrement appréciée en écho aux élans pour des constructions nationales.

Mais surtout, l'opéra est l'un des créations de Verdi les plus riches en inspirations mélodiques et dramatiques avec une palette d'airs et d'ensembles incroyables pour les quatre protagonistes. Il existe au moins une soixantaine d'enregistrements en studio ou live qui ont été publiés. Les plus grands ténors se sont ilustrés dans le rôle de Manrico, le trouvère. Il faut ainsi écouter Aureliano Pertile, Francesco Merli, Giacomo Lauri-Volpi, Giovanni Martinelli, Beniamino Gigli puis Carlo Bergonzi et Luciano Pavarotti, Roberto Alagna mais aussi Helge Roswaenge, en allemand. Tous ont laissé des enregistrements intégraux ou des extraits mémorables. 

La discographie est riche de multiples témoignages intéressants et contenant des moments magiques mais parfois inégaux. On ne négligera pas la version dirigée par Karajan à Vienne avec Domingo et surtout la fabuleuse Leonora de Raina Kabaiwanska, celle réalisée en studio par Pappano avec Alagna, Gheorhiu et Hampson, ou plus récemment la version au Met (en video) avec Marcelo Alvarez, Sondra Radvanovsky, extraordinaire Leonora et digne héritière de Rosa Ponselle et Leontyne Price, et le magnifique Dmitri Hvorostovsky. Mais il faut revenir vers les versions de légende suivantes qui demeurent des références absolues.

 

Leontyne Price, Franco Corelli, Giulietta Simionato, Ettore Bastianini, Nicola Zaccaria

H. von Karajan - Wiener Philharmoniker                                             1962

 

Au festival de Salzbourg en 1962 et sous la direction de Karajan se trouvait réunie une distribution idéale. Leontyne Price et Franco Corelli avaient déjà abordés ensemble l'ouvrage au Met à New-York en 1961 (soirée publiée par Sony en lien avec le Met). Giulietta Simionato incarnait le rôle depuis plus de 10 ans à travers le monde et Ettore Bastianini était le grand baryton verdien de l'époque. Et cette équipe réunie offre ici une soirée entrée dans la légende à juste titre. Ils sont tous au sommet de leurs moyens et totalement electrisants, avex des voix toutes d'une beauté unique et un engagement vocal total. Les quatre chanteurs sont sur les mêmes hauteurs de bout en bout, avec un équilibre rare entre les voix et dans l'intensité des émotions. Outre la splendeur unique de leurs voix, tous ont une longueur du souffle, une capacité à nuancer et phraser sans limite, et donner une épaisseur dramatique à chaque personnage qu'on en retrouve à ce niveau dans aucun autre témoignage. On peut retrouver dans d'autres enregistrements studios et live chacun d'entre eux , mais jamais de nouveaux les quatre ensemble. Et puis tous sont emporté par Karajan qui offre une direction colorée et enflammée. 

 

         Maria Callas, Kurt Baum, Giulietta Simionato, Leonard Warren,      

         Nicola Moscona

         G.Picco - Chœur et orchestre du Palais des Beaux-arts, Mexico    1950

 

Ce live retrace la prise de rôle de Maria Callas dans cet opéra, le 20 juin 1950, à l'occasion de la tournée qu'elle fit cette année là à Mexico. On peut la retrouver notamment dans un autre live à Naples en 1951 avec Lauri-Volpi, chahuté par la salle, et sous la direction de Tullio Serafin, en 1953 sous la direction de Votto, puis en studio en1956 avec Giuseppe Di Stefano et Karajan. On peut également trouver des extraits de la soirée du 27 juin 1950 lors de cette même tournée à Mexico, Ivan Petrov incarnant le conte de Luna à la place de Leonard Warren. Le rôle de Manrico est tenu par le ténor d'origine allemande Kurt Baum, dont la première carrière comme boxeur se retrouve dans un chant en force mais efficace. Leonard Warren incarne le conte de luna avec son timbre caractéristique de velours un peu voilé, mais surtout une ligne de chant soignée et en outre des aigus fulgurants. Giulietta Simionato débute également, sauf erreur, dans le rôle d'Azucena. Elle en sera l'un des grandes interprètes sur les années suivantes et laisse une incarnation mémorable par la combinaison de l'engagement dramatique et d'un chant malgré tout très soigné. La voix est magnifique. 

Enfin Maria Callas est encore dans ses premières années de carrière internationale. Sa voix lui permet de chanter avec une forte intensité dramatique tout en faisant preuve d'une souplesse et agilité rare. Cela en fait l'un des très grands témoignages de la chanteuse et l'une des plus belles Leonora de la discographie.

La direction, pour ce que l'on peut en juger par une prise de son ancienne et d'un live, apparaît engagée et très théâtrale.

 

         Zinka Milanov, Jussi Björling, Fedora Barbieri, Leonard Warren,      

         Nicola Moscona

         R.Cellini - RCA Victor orchestra                                                               1952

 

Il s'agit de l'un des grands enregistrements historiques avec quatre grandes voix des années 1940/1950. Jussi Björling est un Manrico d'une grande noblesse, au timbre solaire et avec une ligne vocale d'une grande beauté. On peut également l'écouter dans un live effectué à Londres en 1939 (sous la direction de Vittorio Gui) où il est vocalement encore plus sublime, tant dans l'étendue des nuances que dans l'héroïsme. A ses côtés on trouve l'une des partenaires habituelles à la scène et en studio, Zinka Milanov. Elle est cette grande soprano qu'on attend pour le rôle, au timbre somptueux, aux aigus piano aériens et au chant d'une très grande noblesse. Son grand air du 3e acte est parmi les plus sublimes qui soient restés, la pure beauté du chant suscite ici une émotion naturelle unique. Le rôle d'Azucena convient plutôt mieux à Fedora Barbieri que les autres personnages verdiens. Elle fait d'ailleurs preuve d'un chant plus sobre, plus soigné qu'habituellement, permettant de mieux apprécier sa voix naturellement riche. Leonard Warren est toujours un grand Conte de Luna, deux ans après son apparition aux côté de Callas à Mexico. 

 

 

La Traviata

Composé en 1852 et créé à Venise en 1853, cet ouvrage est resté comme l'un des plus célèbres de Verdi, depuis le succès de sa présentation à Venise en 1854. De nombreuses sopranos ont voulu incarner le personnage de Violetta, rôle exigeant vocalement comme sur le plan de l'interprétation. L'importance de ce rôle dans le répertoire de Maria Callas a sans doute encore accru la célébrité déjà importante de cet opéra au 20e siècle. Pourtant d'autres grandes sopranos s'y sont illustré avant elle, laissant des extraits historiques : en particulier Claudia Muzio et Magda Olivero dont ce fut l'un des rares rôles verdiens. Un nombre important d'intégrales en studio ou en live est disponible et permet d'apprécier une grande variété d'interprètes mais aussi de chefs.

Alors que la discographie était déjà assez riche, les enregistrements dirigés par Carlos Kleiber, puis Georg Solti à Londres avec Gheorghiu, enfin Carlo Rizzi avec Netrebko et Villazón sont venus l'enrichir avec des versions très réussies et dans de très bonnes prises de son.

Mais ce sont trois témoignages antérieurs qui demeurent sans doute les plus essentiels à écouter.

 

 

 Maria Callas, Giuseppe Di Stefano, Ettore Bastianini

 C.M. Giulini - Teatro alla Scala di Milano                                   1955

 

Après avoir réécouté différents enregistrements avec Callas, tous intéressants, deux versions retracent plus particulièrement, avec d'excellents partenaires, l'incarnation historique de la chanteuse dans le rôle de Violetta.

D'abord celle, mythique, de la Scala en 1955. En cette soirée Callas est ici au sommet, avec une parfaite combinaison entre sa maîtrise vocale et l'intensité de son interprétation. La voix est souple et les aigus maîtrisés s'intégrant dans la ligne vocale,  la caractérisation des sentiments très juste. Il n'y a pas de simple démonstration vocale mais une parfaite adéquation en la technique vocale et l'intensité de l'interprétation. On est alors totalement saisi par le personnage de Violetta et ses différentes facettes en fonction des actes. Ici on comprend vraiment pourquoi Callas aura autant été adulée et fascinante. A ses côtés Di Stefano et Bastianini sont classiques mais somptueux vocalement et engagés, ce qui correspond d'ailleurs bien à leurs personnages, a priori moins complexes que Violetta. Guilini dirige avec idiomatisme l'opéra et soutient bien les voix.

Cette soirée légendaire, à la réécoute, demeure le moment exceptionnel d'opéra qui en a fait sa réputation, même si la prise de son live n'est pas parfaite.

 

 Maria Callas, Cesare Valletti, Mario Zanasi

 N. Rescigno - Royal Opera House, Covent Garden                1958

 

Un autre témoignage de Callas est important. Il s'agit de son incarnation pour la dernière année dans sa carrière, en 1958. Plus que la célèbre représentation enregistrée à Lisbonne avec Alfredo Kraus, c'est le live à Londres quelques semaines plus tard (en juin) qui montre encore le meilleur équilibre entre la santé vocale de Callas et son interprétation poussée au bout. Les aigus sont plus tendus qu'en 1955, et qu'en 1952 à Mexico, mais restent relativement contrôlés, notamment à la fin  de l'air au 3e acte Addio del passato, mieux maîtrisé qu'à Lisbonne. Autrement, l'intensité dramatique totale de son interprétation est assez similaire entre les deux soirées. Cesare Valletti est un Alfredo magnifique, avec un timbre superbe et peu de sons trop ouverts dont son chant est quelquefois affecté dans d'autres occasions. Il offre un personnage lyrique et d'une grande élégance, à l'instar d'A.Kraus. De son côté, Mario Zanasi, avec une voix relativement claire, offre un chant plutôt soigné dans le rôle de  Giorgio Germont. Rescigno accompagne les chanteurs avec efficacité et classicisme.

 

 Renata Scotto, Alfredo Kraus, Renato Bruson

 R. Muti - Philharmonia Orchestra                                          1980

 

Ici c'est d'abord Riccardo Muti qui impressionne par une direction à la fois idiomatique, vive, tendue et fougueuse, mais également lyrique et naturelle. Il s'agit sans doute de la direction la plus enthousiasmante de la discographie, avec peut-être plus de naturel et d'idiomatisme que celle de C.Kleiber, intéressante, ou de Solti avec Gheorghiu, ou moins précipitée que celle de C.Rizzi avec Netrebko.

La distribution compte l'une des grandes Violetta avec Callas que fut Renata Scotto. Et même s'il y a quelques stridences dans l'extrême aigu, son incarnation est celle d'une très grande tragédienne, avec une voix spécifique et une très grande technique vocale. Avec Scotto, ce n'est pas le beau chant qui prime mais l'intensité dramatique et une émotion extraordinaire qui en font l'une des grandes interprètes du rôle, bien que ce soit ici un enregistrement studio, ce qui tend à brider les chanteuses de sa trempe. A.Kraus offre à nouveau une leçon de chant, même si on peut sentir ça et là quelques intonations un peu éloignées d'un jeune amoureux. Enfin Renato Bruson déploie une élégance, une noblesse dans sa ligne de chant extraordinaires, magnifiques.

 

Un bal masqué

 Jussi BJörling Zinka Milanov, Alexander Sved, Bruna Castagna

 Stella Andreva

 E.Panizza - Metropolitan Opera, New-York                           1940

 

Ce live provenant du Met est vraiment historique, avec la direction survoltée d'Ettore Panizza et une distribution phénoménale constituée de chanteurs à leur son sommet. Compositeur et chef d'orchestre argentin d'origine italienne, Panizza reste surtout connu pour quelques live au Met où il a succédé à Tullio Serafin comme principal chef du répertoire italien pendant plusieurs saisons. Sa direction est électrique, toute en tension et d'une énergie incroyable, on sort transporté à l'écoute de son interprétation de l'opéra.

Dans les rôles principaux, Björling et Milanov, qui ont beaucoup chanté et enregistré ensemble dans les années 50, sont ici vocalement à leur meilleur et donnent des leçons de chant, avec en outre de la grandeur dans leur incarnation. Le duo du 2e acte et les deux airs d'Amelia sont de très grands moments. La beauté de leur timbre est au service de lignes vocales parfaitement conduites, avec des nuances superbes. Il est dommage que l'air du ténor au 3e acte soit coupé, lors de la représentation et non pas à cause de la bande radio disponible. Le reste de la distribution est également de très haut niveau.

La qualité sonore est celle d'une bande radio de 1940, donc de qualité moyenne.

 

         Giuseppe di Stefano, Maria Callas, Giulietta Simionato,

         Ettore Bastianini, Eugenia Ratti

         G.Gavazzeni - Teatro alla Scala di Milano                                1957

 

Maria Callas et Giuseppe Di Stefano ont enregistré l'opéra en studio en 1956 sous la direction d'Antonino Votto et le remastering fait par Warner restitue de façon exceptionnelle les timbres des chanteurs et une bonne présence de l'orchestre. Cependant on pourra préférer le témoignage en live issu de la soirée d'ouverture de la Scala le 7 décembre 1957. Par leur engagement et leur charisme les deux artistes y apparaissent beaucoup plus enthousiasmants que dans la version studio, malgré quelques écarts de justesse. Callas est ainsi particulièrement émouvante dans l'air d'Amelia au 3e acte. A leurs côtés Giulietta Simionato dans Ulrica est impressionnante avec en outre une ligne de chant soignée. Bastianini est somptueux et offre un grand moment dans son air du 3e acte. Enfin, Gavazzeni dirige l'ensemble avec fougue mais aussi un grand lyrisme. 

 

         Carlo Bergonzi, Leontyne Price, Robert Merrill, Shirley Verett,      

         Reri Grist

         E.Leinsdorf - RCA Italian Opera orchestra & chorus             1966

 

La distribution réunie pour cet enregistrement est extraordinaire et regroupe les stars du répertoire verdien de l'époque. Carlo Bergonzi a tout particulièrement marqué ce rôle, un peu ingrat, avec une incarnation d'une très grande noblesse et une ligne vocale exceptionnellement conduite et soignée. Il est sans doute avec Björling et Gigli celui qui a le plus marqué ce rôle, encore aujourd'hui. Son air au 3e acte est une absolue leçon de chant verdien, d'une beauté vocale à couper le souffle. On peut le retrouver en live, au moins aussi exceptionnel, à Bologne et à New-York au début des années 60, respectivement avec Gencer et Rysanek, toutes deux absolument mémorables bien que très différentes.

Dans cet enregistrement studio on retrouve Leontyne Price dont l'extraordinaire beauté de la voix répond bien à celle de Bergonzi. Shirley Verett dans Ulrica et Robert Merrill dans Renato sont également superbes vocalement.

La direction de Leinsdorf est efficace même si cela manque un peu de tension et de vie par moments.

 

La force du destin

 Renata Tebaldi, Franco Corelli, Ettore Bastianini, Boris Christoff,

 Oralia Dominguez, Renato Capecchi

 F.Molinari-Pradelli - Chœur et orchestre du teatro San Carlo      1958

 

La version incontournable de l'opéra avec une distribution historique. Tebaldi, dont Leonora reste l'un des rôles les plus marquants, a la voix céleste et chacune de ses interventions est un moment sublime. Corelli est également à son sommet et nuance à l'infini sa voix magnifique. Ses duos avec Bastianini sont de grands moments de l'opéra. Boris Christoff est somptueux dans le rôle du Padre Guadiano. Un festival de grandes voix électrisantes dans des incarnations inégalables. voire inégalées. La direction nerveuse de Molinari-Pradelli soutient bien cette distribution et on revit avec les spectateurs déchainés du San Carlo ce soir là l'enthousiasme immense que procure cette représentation. Celle-ci a également été filmée et publiée en vidéo.

 

 Zinka Milanov, Mario del Monaco, Leonard Warren, William Wildermann

 Claramae Turner, Gerhard Peichner

 W.Herbert - Chœur et orchestre du Metropolitan Opera               1953

 

Version fortement tronquée selon une option retenue pendant de longues années à New-York, ce live offre un moment de chant assez exceptionnel, malgré un son relativement précaire. Zinka Milanov est encore à son sommet et c'est de bout en bout une leçon de chant. Ici la beauté du timbre et celle du chant sont tellement exceptionnelles que l'absence d'une caractérisation dramatique est vite oubliée. Son air au début du 2e acte la montre particulièrement aérienne. Mario del Monaco est dans l'un des rôles qu'il aura vraiment marqué et il est ici particulièrement engagé et nuancé. Ils suscitent vraiment un immense enthousiasme. Face à ces deux géants, Le grand baryton Leonard Warren est tout aussi électrisant et la basse d'origine allemande, peu connue, W.Wildermann, dispose d'une voix chaude et profonde, avec un beau legato conférant toute la noblesse nécessaire à son personnage.

Un enregistrement exceptionnel porté par des voix exceptionnelles, engagées et à leur sommet, malgré les coupures et la prise de son médiocre.

 

Don Carlo

L'ouvrage a été créé en mars 1867 à Paris, dans une version française en 5 actes, et selon la forme du grand opéra français alors en vogue. Cela se caractérise par le recours à des intrigues personnelles se mêlant à une grande fresque historique, l'exigence d'un ballet inséré à l'opéra et une œuvre aux dimensions imposantes. Verdi retravaille à différentes reprises la partition pour des versions en 4 actes ou 5 actes (le premier étant parfois coupé comme à la Scala lors de sa reprise en 1884) et plus systématiquement le ballet. Les représentations données au cours du 20e siècle à travers le monde ont plutôt repris les versions italiennes en 4 ou 5 actes mais généralement sans ballet. 

Cet opéra a donné lieu à relativement peu d'enregistrements en studio (Santini, Solti, Abbado, Giulini, Karajan, Haitink) mais divers témoignages en live ont été publiés, avec quelques soirées exceptionnelles. Outre celles présentées ici, on retiendra deux autres très grandes soirées, à l'Opéra de Vienne : celle de 1970 (avec Corelli, Janowitz, Verrett, Waechter, Ghiaurov, Talvela) et celle dirigée par Karajan le 6 mai 1979 à Vienne (avec Raimondi, Freni, Carreras, Baltsa, Capuccilli, Salminen). 

 

 Franco Corelli, Montserrat Caballé, Sherill Milnes, Grace Bumbry,

 Cesare Siepi

 F.Molinari-Pradelli - Metropolitan Opera New York              1972

 

Voici un live renversant où chaque chanteur est au sommet de sa forme et fait preuve d'un investissement total, même si certains trouveront à redire sur quelques excès et libertés stylistiques. Corelli et Caballé rivalisent dans leur duo d'un engagement et d'une fougue sans limites, tout comme Grace Bumbry et Sherill Milnes, enthousiasmants. Et Cesare Siepi dont Philippe II fut l'un des grands rôles est ici totalement impérial sur le plan vocal, d'une présence et d'une autorité inouïes, surpassant encore ses précédents témoignages des années 50. Sa confrontation avec le Grand Inquisiteur tout comme l'échange avec Posa sont des moments particulièrement intenses. La direction est engagée et efficace sinon subtile. Malgré le son de qualité médiocre, c'est un témoignage totalement électrisant de cet opéra.

 

 Roberto Alagna, Karita Mattila, Thomas Hampson, Waltraud Meier,   

 José Van Dam

 Antonio Pappano - Orchestre de Paris                                            1996

 

La version en français, dont on pouvait rêver, est servie par plateau de luxe qui ne déçoit pas un instant. La prise de son valorise ici l'orchestre mieux qu'il ne sonnait réellement dans la salle du Châtelet, ce qui permet de bien soutenir l'action et les chanteurs extraordinaires. José Van Dam, qui ne dispose pas vraiment des graves pour le rôle de Philippe II, est néanmoins très émouvant dans un rôle dont il montre bien les faiblesses. Waltraud Meier est passionnante, princière Eboli altière, déchaînée. Thomas Hampson est enflammé et d'une très grande élégance, Mattila et Alagna sont fabuleux d'engagement et de style (même si la prononciation de Mattila est moins parfaite que celle d'Alagna). Ces représentations du théâtre du Châtelet, dans la mise en scène de Luc Bondy, ont été filmées et publiées en vidéo.

 

      Jon Vickers, Gre Brouwenstijn, Fedora Barbieri, Tito Gobbi,

       Boris Christoff

       C.M Giulini - Royal Opera House Covent Garden, Londres        1958

 

Giulini a retenu la version italienne en 5 actes pour la série de représentations qui fut donnée à Londres en 1958. La mise en scène était signée Visconti et l'opéra en présentait courant 2019 quelques costumes, accessoires et photographies dans son hall. Cette soirée est en effet restée dans l'histoire de Covent Garden.

Si la qualité de la bande live ne permet pas vraiment d'apprécier pleinement le travail d'orchestre mené par Giulini, on perçoit bien le souffle épique et tragique qu'il imprime sur l'ensemble de la représentation et de la troupe réunie. Celle-ci n'est certes pas parfaite mais est constituée de personnalités extrêmement fortes qui font oublier certaines limites vocales ou quelques décalages avec l'orchestre. Vickers est extraordinaire, avec une voix souple et un timbre sombre idéal pour ce personnage romantique enflammé et tragique. Le duo entre Tito Gobbi et Boris Christoff est un moment très intense. Boris Christoff est phénoménal et poignant dans la grande scène du début du 3e acte. Malgré quelques sons durs, Tito Gobbi soigne particulièrement son chant et ses qualités d'acteur s'expriment pleinement dans le 4e acte. Brouwenstijn est magnifique dans le rôle d'Elisabeth. Seule Fedora Barbieri dans le rôle d'Eboli, malgré de beaux passages, manque totalement de la noblesse de ton que requiert son personnage et déséquilibre un peu le plateau.

 

        Carlo Bergonzi, Renata Tebaldi, Dietrich Fischer-Dieskau, Grace Bumbry,

         Nicolai Ghiaurov

         G.Solti - Royal Opera House Covent Garden                             1965

 

Cette version bénéficie d'une palette des plus belles voix d'opéra de l'époque, voire au-delà. Carlo Bergonzi dispense une nouvelle fois une leçon de chant verdien de bout en bout. Il apparaît moins comme le personnage romantique enflammé que Vickers ou Corelli, mais la beauté du timbre, la perfection du style et de la ligne de chant sont fascinants. Tebaldi est également royale et son timbre reste magnifique même si sa voix n'a plus tout à fait la souplesse des années précédentes. Ghiaurov est un immense roi Philippe II, lui aussi avec une voix d'une extraordinaire beauté. Fischer-Dieskau incarne un Rodrigo d'un grand raffinement et Grace Bumbry est une époustouflante princesse Eboli. 

La direction de Solti est intense et très théâtrale. Une version qui figure à juste titre depuis sa parution comme l'une des références. La prise de son Decca des années 60 est très réussie et n'a pas vieilli.

 

Aida

Créé en 1872, l'opéra est avant tout rendu célèbre pour son air des trompettes et l'image d'une œuvre péplum voire kitsch. Pourtant il se caractérise en fait par une alternance des scènes de masse et du grand opéra avec des scènes plus intimistes, en particulier le dernier acte. Par ailleurs Verdi avait effectué de réelles recherches pour obtenir une certaine vraisemblance historique. Cette célébrité, continue depuis sa création, aura aussi permis de bénéficier de nombreux témoignages discographiques, depuis l'enregistrement dirigé par Carlo Sabajno en 1930 avec la troupe de la Scala jusqu'à celui plus récent d'Antonio Pappano, avec l'orchestre de l'Académie sainte Cécile et une distribution plus internationale.

Outre les trois intégrales proposées ici, il faut aussi écouter quelques voix exceptionnelles : Giovanni Martinelli à New-York en 1937, les extraits avec Lauri-Volpi qui laisse un exceptionnel duo du Nil historique avec Rethberg ou encore Milanov et Björling au chant somptueux et d'une grande noblesse dans l'intégrale qu'ils ont enregistré en 1955 et publiée par RCA.

 

 Franco Corelli, Birgit Nilsson, Grace Bumbry, Mario Sereni,

 Bonaldo Giaiotti

 Z. Mehta - Chœur et orchestre de l'Opéra de Rome         1967

 

Cet enregistrement est sans doute un peu sous-estimé alors qu'il dispose d'une distribution exceptionnelle et d'une très belle direction de Mehta. D'abord Nilsson n'est pas, contrairement à l'a priori qu'on peut facilement avoir, une wagnérienne perdue dans un autre répertoire. Elle est certes une voix imposante, mais elle l'allège et l'assouplit pour mieux s'adapter au rôle. Son incarnation est également moins froide que ce qui peut souvent lui être reproché. Son timbre reste assez tranchant mais il s'agit néanmoins d'une belle interprétation. A ses côtés, il fallait malgré tout un ténor d'une certaine ampleur, ce qui est bien le cas de Franco Corelli. Là aussi la voix en impose mais, outre ce timbre viril et lumineux, c'est aussi la conduite de la ligne vocale et des nuances incroyables qui en font un Radamès électrisant. Le meilleur exemple en est son long diminuendo sur la note finale de l'air Celeste Aida, sans que la couleur de la voix ne soit à aucun moment altérée, avec un vibrato stable et maîtrisé tout le long du decrescendo. D'autres témoignages du ténor dans le rôle existent, dont un live à New-York avec Leontyne Price malheureusement assez inaudible, ou encore un live superbement dirigé par V. Gui à Naples en 1955, mais là aussi avec un son assez précaire.

Grace Bumbry est la plus belle Amneris de la discographie avec Simionato, avec son chant extrêmement chaleureux et envoûtant. Mario Sereni est impressionnant et bien mieux chantant que nombre de barytons dans ce rôle.

 

 Jon Vickers, Leontyne Price, Rita Gorr, Robert Merrill,

 Giorgio Tozzi

 G. Solti - Chœur et orchestre de l'Opéra de Rome            1962

 

Cette version réputée de l'opéra sous la direction de Solti reste l'une des intégrales les plus belles grâce à une distribution équilibrée et dominée par les deux principaux personnages. Leontyne Price, somptueuse, est fascinante, avec une voix d'une rondeur et d'une chaleur unique. Elle conduit les phrases en nuançant une voix longue et ample. Jon Vickers est un Radamès moins lumineux que Corelli mais est à la fois sombre, héroïque et fragile, d'une grande force dramatique. A leurs côtés Robert Merrill et Rita Gorr, qui ont eux aussi des superbes voix, incarnent avec efficacité et sobriété leurs rôles.


 Kurt Baum, Maria Callas, Giulietta Simionato, Robert Weede,

 Nicola Moscona

 G. Picco - Chœur et orchestre de l'Opéra de Mexico        1950

 

Le rôle d'Aida est l'une des grandes incarnations verdiennes de Maria Callas. Et elle est particulièrement extraordinaire et époustouflante lors des séries de représentations auxquelles elle participait à Mexico en 1950 et 1951. On peut préférer le live de 1951 avec Mario del Monaco, cependant Kurt Baum et lui sont sur le même registre, certes impressionnants, plutôt en force sinon brutalité et peu nuancés. Alors que Maria Callas joue sur les couleurs, les nuances et les intonations pour créer un personnage à la forte personnalité, passionnante. Enfin son si bémol aigu dans le final du premier acte est un détail mais impressionne et illustre l'investissement vocal sans limite qu'elle mettait dans son interprétation. Cette version bénéficie aussi de G.Simionato, immense Amnéris, alliant splendeur du chant sur l'ensemble de sa tessiture et puissance de l'incarnation, capable d'une grande tension sans jamais perdre de la noblesse de ton.

Le son est moins satisfaisant que la version de 1951 mais la direction de Picco est plus énergique et soutient mieux la tension et l'investissement des chanteurs que celle de Fabritiis en 1951.