Johannes Brahms (1833 - 1897)

 

Les quatre symphonies composées par Brahms font aujourd'hui partie du grand répertoire, aux côtés de celles de Beethoven, Bruckner ou Mahler. Pourtant, on sait que le compositeur a eu du mal à s'atteler à cette forme musicale, arrivant en particulier après Beethoven, Mendelssohn et Robert Schumann.

Sa première symphonie n'est ainsi achevée qu'en 1876, le compositeur ayant déjà 43 ans. Cette première symphonie a rencontré un tel succès à  sa création qu'elle fut baptisée 10e symphonie de Beethoven, ce qui finit par agacer Brahms. Les symphonies suivantes rencontreront également un très grand succès dès son vivant. La troisième symphonie reste aujourd'hui la plus célèbre grâce à son troisième mouvement, repris au cinéma voire dans la publicité.

Ces symphonies sont donc très souvent enregistrées depuis les années 1930, offrant un très large choix d'interprétation en intégrales parmi lesquelles celles restées célèbres de Toscanini, Furtwängler, Walter, Karajan par trois fois avec Berlin, puis Abbado. Si le décompte exact est difficile à réaliser du total d'intégrales, on en dénombre au moins 80, plus ou moins disponibles actuellement, réalisées en studio ou en live, sans compter des intégrales reconstituées à partir de plusieurs concerts et avec plusieurs orchestres pour certains chefs comme pour Knappertsbusch ou parfois pour Furtwängler. Enfin à cela s'ajoutent des symphonies gravées isolément.

 

Symphonie n°1

 Wilhelm Furtwängler

 Berliner Philharmoniker                                 1952

On compte au moins dix versions publiées de cette première symphonie par Wilhelm Furtwängler. On pourra privilégier en priorité la publication du concert du 10 février 1952 au Palais Titiana de Berlin par Deutsche Grammophon. Cela permet d'entendre la vision du chef, dans sa dernière période esthétique et dans un son relativement bon. L'interprétation est grandiose dès la première phrase, très lente et explosive du premier mouvement, avec cette ascension soutenue par des timbales crescendo terrifiantes. Les cordes graves comme les cors sont abyssaux et les phrasés d'une intensité extrême, avec ces démarrages légèrement décalés entre les pupitres pour accentuer l'explosion dramatique.

Le début du finale est d'une puissance unique, évoquant comme dans aucune autre version la lutte sourde de forces sombres avant de laisser place à la lumière de la fin de l'introduction. La suite du mouvement est pleine d'énergie grandiose.

Une version historique et légendaire incontournable.

 

 Günter Wand

 NDR Sinfonieorchester                                    1996

Günter Wand a lui aussi laissé plusieurs témoignages de cette symphonie. Celle enregistrée lors de concerts donnés en avril 1996 à Hambourg, est magistrale. Le début est pris à un tempo assez soutenu ce qui ne se retrouve pas pour la suite du mouvement. Mais cela est empreint d'une pulsation et d'une respiration naturelle qui happent l'auditeur.  Le mouvement lent est très poétique et captivant, avec un dosage savant des couleurs entre les pupitres. Il n'y a pas d'effets inutilement appuyés mais des phrases et contre-chants qui s'entrecroisent avec le plus grand naturel, tout comme dans les mouvements suivants. Et par exemple, parmi tant d'autres, dans le dernier mouvement, la reprise du thème aux bois à 5'08" avec son crescendo et sa résolution à 5'40" illustre l'organisation du discours musical de Brahms mais aussi de la façon exceptionnelle dont Wand le restitue, comment il gère savamment l'enchaînement, avec la parfaite gestion du crescendo et le subtil changement de tempo à la résolution. Enfin le finale explose littéralement dans ses dernières mesures.

Une très grande réussite avec une belle prise de son.

 

        Eugen Jochum

        London Philharmonic Orchestra                    1976

Le premier thème du premier mouvement est marqué par une grande tension de l'ensemble de l'orchestre, tant aux cordes qu'aux bois et avec des timbales très présentes. Cette tension ne redescend pas ensuite. Le deuxième mouvement, andante sostenuto, est de la même veine, dans une parfaite cohérence sur l'ensemble de l'œuvre. Les cordes jouent avec des phrasés tendus, laissant aux bois seuls quelques moments de poésie plus apaisée. Le troisième mouvement démarre avec un thème plus champêtre pris dans un esprit plus serein, conformément à l'indication un poco allegretto e grazioso, mais le mouvement de tension reprend assez vite le dessus, avec des notes longues aux cordes pleinement dans l'archet ou des pizzicatos largement assis sur les contrebasses. Le finale ouvre plus nettement vers une atmosphère optimiste et rayonnante avec des bois très présents et des violons dont le son et les coups d'archet traduisent un sentiment plus triomphant, après deux premiers tout en tension et un troisième en transition. On suit ainsi une véritable évolution depuis le tragique du début à l'optimisme final. Il y a peu de versions qui traduisent de façon aussi évidente et réussie une telle trajectoire esthétique pour cette symphonie, ce qui en fait l'une des plus intéressantes de la discographie.

 

Symphonie n°2

 Joseph Keilberth

 Orchestre symphonique de la radio bavaroise       1966

Keilberth a enregistré une belle intégrale des symphonies de Brahms en studio avec les orchestres de Berlin et de Bamberg. Pour la 2e symphonie, il existe surtout ce live, issu d'un concert donné à Munich le 8 décembre 1966. Il propose, malgré quelques petits défauts et bruits liés au concert, une version extraordinaire. Les tempos choisis semblent évidents, naturels. Ils permettent d'assurer un parfait équilibre entre le lyrisme de longues phrases mélodiques et des moments de vraie tension, sans créer un sentiment de ruptures permanentes ni de déstructuration des mouvements. On a ainsi l'impression que la musique avance avec énergie et fluidité au fil des mouvements. Et le final du 4e mouvement est particulièrement électrisant. L'orchestre de la radio bavaroise est excellent avec un son rond, chaud convenant parfaitement à la vision du chef et à l'univers de Brahms.

La qualité de la prise de son est excellente, les timbres et dynamiques sont parfaitement restitués. On n'imagine à peine que cela date des années 60.

Version exceptionnelle à connaître absolument par un grand chef trop méconnu.

 

        Eugen Jochum

        Berliner Philharmoniker                                               1951

On retrouve ici les qualités qui font de l'intégrale des symphonies de Brahms par Jochum avec la Philharmonie de Berlin l'une des références historiques. La tension dramatique est continue, y compris dans le mouvement lent, avec des tempos assez soutenus, des cordes graves profondes bien que moins marquées qu'avec Furtwängler. La prise de son est assez ancienne mais restitue bien les couleurs chaudes et profondes de l'orchestre.

 

        Carlo Mario Giulini

        Philharmonia orchestra                                                1962

Giulini prend des tempos relativement amples dans sa version enregistrée en studio en 1962. Cette version est très poétique avec des couleurs et une atmosphère un peu automnales. Ce n'est pas la tension qui est privilégiée mais davantage une forme de lyrisme radieux, y compris dans le dernier mouvement plus animé dans son écriture. Le legato et la fluidité dans l'enchevêtrement des thèmes sont en effet permanents. Il y a aussi par moments une certaine ferveur, comme dans le solo des violoncelles au début du deuxième mouvement, joué piano et avec très peu de vibrato.

Une version émouvante et lumineuse.

 

Symphonie n°3

 Eugen Jochum

 Berliner Philharmoniker                                      1956

L'ancienne version enregistrée par Eugen Jochum à la tête de la philharmonie de Berlin est extraordinaire. Le premier mouvement est pris à un tempo haletant et témoigne d'une tension incroyable. Les deuxième et troisième mouvements sont parfaitement lyriques et d'une grande poésie. Le final est puissant et à nouveau très énergique même si le tempo est moins extrême que celui du premier mouvement. Globalement les phrases s'enchaînent et s'entremêlent et le chef n'a pas besoin de recourir à des à-coups intempestifs pour maintenir la tension permanente de bout en bout d'un mouvement.

Une version électrisante. La prise de son permet d'apprécier les couleurs de l'orchestre, les bois et les graves profonds des cordes mais est quand même moins satisfaisante que d'autres gravures de la même époque chez Decca ou RCA. Eugen Jochum enregistrera à nouveau une belle version avec le London Philharmonic Orchestra dans les années 1970.

 

 Claudio Abbado

 Berliner Philharmoniker                                        1989

Abbado avait déjà une magnifique 3e symphonie de Brahms assez différente et d'une grande tension, dans les années 1970 avec la Staatskapelle de Dresde. Il la gravait à nouveau peu de temps avant d'être nommé directeur musical de la Philharmonie de Berlin, suite au décès de Karajan. Mouvement après mouvement on retrouve un orchestre puissant, aux couleurs chaudes, teinté d'un sentiment de poésie bucolique et lumineuse magnifique. Comme souvent avec Abbado, la fluidité du discours musical et l'élégance caractérisent à nouveau cet enregistrement. On a l'impression ici que la musique coule sans temps mort toujours dans un climat de sérénité et comme sous une lumière automnale. 

Une version réputée à juste titre comme l'une des plus belles de toute la discographie. La prise de son est en outre exceptionnelle et permet d'apprécier la qualité extraordinaire de chaque pupitre et les superbes sonorités de l'orchestre.

 

         Thomas Sanderling

         Philharmonia orchestra                                           1996

Fils de Kurt Sanderling, ce chef d'orchestre peu connu a enregistré une belle intégrale des symphonies de Brahms dans le milieu des années 1990. Dans l'ensemble du cycle il propose une interprétation marquée par des tempos amples, une certaine profondeur dans le son faisant penser à Bruckner. On retrouve ces caractéristiques dans la 3e symphonie, peut-être la plus enthousiasmante de son cycle. Il conjugue l'ampleur de ton à une vraie tension rendant sa lecture très accomplie. L'orchestre Philharmonia est superbe et le chef lui donne une coloration plus germanique que ce qu'on entend du même orchestre avec Giulini ou Dohnany par exemple.

Une très belle version, aboutie, sans la moindre faiblesse et une grande unité de ton, tout le long des quatre mouvements.

 

Symphonie n°4

Parmi toutes les versions enregistrées, il y a beaucoup de beaux enregistrements. Parmi les plus anciens et moins connus que ceux de Furtwängler, par exemple, ceux de Victor de Sabata avec la Philharmonie de Berlin ou Arturo Toscanini, notamment le témoignage avec l'orchestre de la BBC (live 1935), sont vraiment à connaître. On pourrait aussi évoquer un très bon enregistrement ancien de Karl Böhm (1938) ou celui toujours excellent d'Eugen Jochum avec la Philharmonie de Berlin. Il faut également écouter celui réalisé par Igor Markevitch avec l'orchestre Lamoureux. Cet enregistrement est vraiment étonnant avec un orchestre très engagé, même si les sonorités sont effectivement très françaises. La direction de Markevitch est peut-être atypique mais absolument passionnante, insufflant une puissance et une force dramatique extraordinaire. Ce sont néanmoins deux versions classiques qui demeurent sans doute les plus incontournables au sein d'une abondante discographie : les enregistrements de Carlos Kleiber et Carlo Maria Giulini.

 

 Carlos Kleiber

 Wiener Philharmoniker                                1980

Cet enregistrement de Carlos Kleiber reste une référence depuis sa sortie au début des années 1980. En effet, on peut le réécouter sans cesse, on ne s'en lasse pas car la direction du chef est comme une évidence à chaque instant. On a le sentiment que tout est juste, chaque accent, chaque transition et chaque exposition de thème sont parfaitement menés et arrivent tels qu'il ne pourrait en être autrement. Les tempos et rubato sont menés de façon à construire une musique fluide, dynamique, lumineuse. On est pris dans ce flux de bout en bout ave une grande énergie. Il n'y a aucune pesanteur ni accents brusques, mais un dosage subtil de chaque pupitre, de chaque nuance, de chaque attaque, de chaque contre chant.

Une version totalement enthousiasmante qui en fait effectivement une référence absolue.

 

 Carlo Maria Giulini

 Orchestre symphonique de Chicago        1969

Le grand chef italien avait gravé cette quatrième symphonie de Brahms, indépendamment de son intégrale avec le Philharmonia au début des années 1960. Ici, comme dans d'autres enregistrements de la même période et avec cet orchestre de Chicago, Guilini réalise une version passionnante de bout en bout. Le premier mouvement est pris à un tempo relativement retenu et pourtant il n'y a aucun sentiment d'immobilisme, l'articulation de chaque phrase, accentuée mais sans brusquerie inutile ou chantée avec des coups d'archet fluides, s'enchaînent dans une tension sans cesse maintenue. Les dernières mesures sont en outre le parfait exemple de la grandeur qu'insuffle le chef, ce qui se confirme dès les premières notes aux bois dans le deuxième mouvement Andante moderato, ces mêmes bois qui font preuve d'une grand lyrisme dans le thème suivant.

Les troisième et quatrième mouvements démarrent tous deux aussi de façon grandiose, dans un tempo assez lent, mais là aussi le chef sait faire avancer l'orchestre sans pesanteur, avec des phrases bien articulées et un savant dosage des nuances. Les lignes chantées des cordes, avec les jeux de réponse entre violons et corde graves sont impressionnantes par l'ampleur comme la fluidité. Le finale, toujours au tempo retenu, est renversant de tragique grandiose et d'émotion.

L'attention est vraiment soutenue de bout en bout avec cette version à la fois tendue, grandiose et chantante. L'orchestre de Chicago est en outre vraiment splendide, seule la prise de son un peu pâteuse est légèrement décevante, sans que cela ne remette en cause la qualité de cette immense version.